En une semaine le fondateur de FTX, Sam Bankman-Fried, est devenu la figure la plus détestée du milieu des cryptomonnaies, beaucoup d’investisseurs lui avaient fait confiance et ont désormais tout perdu. FTX, l’une des plateformes d’échanges de cryptomonnaies les plus connues avec 1,2 millions d’utilisateurs et 32 milliards de capital, s’est effondrée en moins d’une semaine, emportant la fortune de son créateur, les capitaux des investisseurs et des utilisateurs et révélant les failles de d’une industrie qui voulait dépasser les limites de la finance traditionnelle.
L’empire de SBF, comme est appelé Sam Bankman-Fried le plus jeune milliardaire de son temps, était en réalité fondé sur des irrégularités et le château de cartes a fini par s’effondrer. SBF est un pur produit de la Silicon Valley, originaire de San Francisco avec des parents professeurs de droit à l’université de Stanford, université très réputée dans le milieu de la tech, il démontre très tôt une passion pour les mathématiques.
En 2014, il sort du MIT avec un diplôme de mathématiques et de physique mais trouve rapidement sa voie dans la finance et se fait recruter par la société Jane Street à New-York dans laquelle il occupe un emploi de trading quantitatif. Il s’agit d’un trading basé sur les algorithmes, dans lequel le trader doit laisser ses émotions de côté, en essayant, grâce aux mathématiques, de maximiser les gains et les investissements.
En 2017, SBF remarque l’essor important du marché des cryptomonnaies, le bitcoin frôlant alors les 20.000 $. SBF quitte son emploi pour se consacrer au marché des cryptos et grâce à ses talents d’analyste, il décèle une faille dans la cotation des bitcoins. Il s’aperçoit que le prix du bitcoin qui n’est pas le même sur le marché américain et sur le marché asiatique.
En arrivant à automatiser les échanges entre les différentes plateformes il génère de substantielles plus-value, de l’ordre du million à chaque arbitrage, en achetant des bitcoins aux États-Unis, en les envoyant au Japon et en les vendant en Yen puis en les renvoyant aux États-Unis en convertissant les yens en dollars. Pour gérer ces transactions complexes, il décide de créer son propre fonds d’investissement, Alameda Research, qui résiste à la crise des cryptos de 2018 grâce aux talents de SBF et qui devient l’un des fonds les plus performants du secteur.
Les mouvements massifs que le fonds génère arrivent même à modifier le cours du bitcoin mais la dépendance vis-à-vis des plateformes d’échanges que SBF doit utiliser pour effectuer ses transactions ne le satisfait pas. En 2019, il créé sa propre plateforme d’échanges, Future Exchange ou FTX, une plateforme pour les traders créée par des traders dont l’un des caractéristiques principales est d’être ouverte aux professionnels et aux investisseurs particuliers.
Ce concept permet d’attirer de grands investisseurs comme Sequoia, Softbank ou Tiger Global qui investissent des milliards dans la plateforme. Grâce à son image, ses réseaux et la publicité, FTX parvient à devenir la troisième plateforme cryptos la plus utilisée au monde. Le succès est au rendez-vous, en 2022 FTX est évalué à 32 milliards de dollars et SBF pèse à lui seul, à 29 ans, 16 milliards de dollars.
Il est considéré comme le prodige le plus prometteur de la Silicon Valley, s’affichant avec tous les attributs préférés du milieu de la tech, un train de vie simple, se déplaçant en Toyota petit modèle ou s’habillant en short et tee-shirt, à l’opposé des milliards que génère FTX. Il se présente également comme philanthrope, voulant rendre le monde meilleur et adhérant depuis l’université à l’idéologie de l’altruisme efficace.
SBF souhaite amasser le plus d’argent possible pour le redistribuer aux causes qui lui sont chères, telles que la cause animale, la lutte contre la pauvreté, le changement climatique et investit dans un grand nombre de projet, ce qui lui vaut le surnom de chevalier blanc de la crypto. Il a également ses entrées en politique, devient le deuxième plus gros donateur de la campagne présidentielle de Joe Biden et plaide pour une meilleure transparence et régulation du secteur des cryptomonnaies. Il a réussi à bâtir son empire en s’entourant de fonds institutionnels réputés, de décideurs et de législateurs politiques honorables.
Depuis 2021, SBF et sa société sont installés aux Bahamas, ce qui lui permet d’éviter les taxes et de déployer les produits complexes dont FTX s’est fait la spécialité. Il vit dans une villa avec neuf colocataires à peu près du même âge dont certains, amis depuis l’université, sont les plus fidèles associés de SBF, dont une certaine Caroline Ellison, en charge du fonds d’investissement Alameda Research qui pèse alors 14,5 milliards de dollars.
Alameda et FTX travaillent très conjointement, les employés occupant parfois dans la même pièce, augmentant le risque de se trouver en situation de conflit d’intérêt puisque FTX sert de place de vente et d’achat de cryptos alors qu’Alameda parie sur la fluctuation des prix grâce des algorithmes complexes.
Normalement les salariés d’entreprises pouvant se trouver en conflit d’intérêt ne doivent pas se rencontrer, ni discuter travail alors que la manière dont Almeda et FTX sont organisées facilite le partage d’informations entre les deux entités. Cette situation dure pendant de nombreux mois et finit par attirer l’attention.
Le 2 novembre 2022, Coindesk un média spécialisé dans la cryptomonnaie publie une enquête dans laquelle l’analyse du bilan financier d’Alameda montre qu’un tiers du bilan est composé d’une cryptomonnaie appelée FTT, un actif créé de toute pièce par FTX. La cryptomonnaie FTT, véritable colonne vertébrale de la plateforme FTX pour son fonctionnement, peut être comparée aux Miles dans l’aviation, une sorte de monnaie fictive qui récompense les utilisateurs.
Sans la plateforme FTX, FTT n’aurait ni existence ni valeur, mais comme des milliers de personnes l’utilisent, FTT a fini par devenir une monnaie d’échange courante. Dans un interview, SBF considère que FTT est un actif monétisable comme un autre dont la légitimité n’a pas été remise en cause et il ne pense pas qu’il soit possible à un individu remettre en cause cette légitimité.
Légalement, SBF a le droit de s’enrichir au travers d’Almeda avec un produit créé par FTX, les deux sociétés étant gérées par eux personnes différentes, mais le succès du FTT reposant uniquement sur la confiance en FTX, une perte de confiance provoquerait la chute de l’ensemble du système. FTT deviendrait alors un actif illiquide et ne serait plus accepté.
Quelques jours après la publication de l’article de Coindesk, l’investisseur Changpeng Zhao, dit CZ, le patron de Binance, la plus importante plateforme de cryptos au monde, va être à l’origine de la chute de l’empire de SBF. Binance possède une part importante de FTT, la société ayant soutenu FTX à sa création, et les révélations de Coindesk, sont l’occasion d’affaiblir un concurrent direct.
Le 6 novembre dans un tweet, CZ émet des doutes sur la solidité d’Alameda et indique vouloir vendre ses parts de FTT, imité par d’autres investisseurs qui vendent leur FTT et retirent leur fonds de FTX. Ce phénomène qui va s’amplifier et concerner un nombre croissant d’investisseurs est connu sous le terme bank run, un phénomène qui est observé lorsque les clients n’ont plus confiance en leur banque et viennent retirer leur argent.
Gilles Quoistiaux, journaliste à L’Écho, indique que plus de 6 milliards de dollars de dépôts ont été réclamés à FTX, ce qui a conduit la plateforme à bloquer l’intégralité des comptes des investisseurs. FTX s’est effondré, se retrouvant sous le coup d’une enquête criminelle aux Bahamas, les autorités enquêtant pour savoir si les fonds confiés par les clients avaient été correctement gérés.
En une semaine, la fortune de SBF retombe à 0, FTX devant environ 8 milliards de dollar à ses créanciers. Dans la déclaration de faillite, le rapport qui permet de comprendre comment étaient gérées les différentes filiales de SBF et de savoir où sont passés les fonds confiés à FTX et Alameda, l’avocat en charge du dossier indique qu’il n’a jamais vu un tel échec en matière de gestion d’entreprises. Les conseils d’administration étaient quasiment inexistants et les filiales ne répertoriaient ni leur compte bancaire, ni le nombre d’employés, ni leur statut. Mais surtout, les fonds des utilisateurs n’étaient pas enregistrés dans la comptabilité, personnes n’avaient connaissance précise des sommes investies et de leur destination.
En temps normal, lorsqu’un bitcoin est investi sur une plateforme de cryptomonnaies, cette dernière doit garder ce bitcoin dans ses comptes pour pouvoir le rendre, mais FTX propose des produits plus complexes. Le bitcoin peut ainsi être investi dans une cagnotte globale permettant de gagner des intérêts et dans laquelle d’autres investisseurs peuvent venir emprunter les sommes investies pour parier sur d’autres produits. L’emprunteur place l’équivalent du bitcoin en garantie de manière à ce que la cagnotte puisse être renflouée si l’investissement réalisé est un échec.
Le problème est que FTX ne connaissait pas la taille de la cagnotte, ni le montant emprunté par les utilisateurs, ni de la taille de la garantie. Selon François Remy, journaliste indépendant, FTX pouvait piocher dans toutes les sommes d’argent à disposition que ce soit les garanties ou les prêts, et il était impossible de savoir si les fonds gardés en réserve étaient suffisants pour rembourser les investisseurs, FTX prêtant ainsi les fonds investis sans se soucier de pouvoir les rembourser.
CNBC, la chaîne d’information, a aussi révélé qu’Alameda se rendait sur FTX pour emprunter les milliards de dollars placés par les utilisateurs pour parier sur le cours des cryptos et qu’Alameda plaçait des FTT en guise de garantie. Si le cours du FTT diminuait Alameda n’avait qu’à placer et emprunter encore plus de FTT, ce qu’elle pouvait faire directement auprès de FTX qui peut émettre les FTT à volonté.
Ces révélations montrent qu’Alameda avait un accès direct aux fonds de FTX, créant ainsi une boucle sans fin d’argent gratuit. C’est l’un principaux reproches formulés envers SBF car ce mécanisme a permis à Alameda de s’enrichir en inondant les fonds des utilisateurs de FTT et que ces derniers ne valent aujourd’hui plus rien. Cette construction aurait pu tenir longtemps si les utilisateurs n’avaient pas retiré leur fond ou si le FTT avait gardé un taux de change élevé.
Dans sa chute, FTX entraîne avec lui les sommes investies par les utilisateurs et par des institutions qui avaient investies pour le compte de leurs clients, comme par exemple un fonds de pension de retraite canadien. Les projets dans lesquels SBF avait investi sont menacés, il reconnaît lui-même n’avoir jamais vraiment voulu réguler les cryptomonnaies et semble avoir été uniquement un philanthrope de façade. SBF a poussé le trading algorithmique à un maximum même s’il indique regretter n’avoir pas pris conscience du risque de ces montages financiers. S’il est le principal incriminé, il n’était pas seul et a été soutenu par des institutions, les enquêtes en cours aux États-Unis et aux Bahamas définiront les responsabilités des différentes parties.
Cette affaire révèle cependant l’immaturité d’une technologie qui voulait dépasser la finance traditionnelle et que selon les personnes qui sont aux commandes, les mêmes travers et les mêmes crises peuvent être reproduits. La crise financière de 2008 a par exemple obligé les banques à avoir plus de de solvabilité, des fonds propres en suffisance, règles qui ne s’appliquent pas au monde de la cryptomonnaie et certains acteurs, comme FTX, ont profité de la faille pour prendre beaucoup trop de risque et se dispenser de prendre les précautions nécessaires, comme disposer de suffisamment de liquidités pour faire face en cas de problème.
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