En 2021, le trafic de captagon, une amphétamine de synthèse, a dépassé les 5 milliards de dollars au Moyen-Orient selon un rapport du New Line Institut. Selon les auteurs du rapport, Caroline Rose et Alexander Soderholm, l’augmentation du commerce de captagon, notamment au Moyen-Orient et en Méditerranée, entre 2020 et 2021 se situe autour de 2 milliards de dollars et uniquement sur la base des saisies réalisées, estimé à 420 millions de comprimés, alors que certains pays ne divulguent pas de statistiques annuelles.

La quantité déclarée saisie ne reflète donc qu’une partie des quantités réellement saisies, elle-même ne reflétant qu’une petite proportion des quantités produites.

Le captagon, principalement produit en Syrie et principalement consommé en Arabie-Saoudite, est facilement reconnaissable avec ses deux demi-lunes imprimées sur le comprimé et il était initialement commercialisé en Allemagne dans les années 60 avec la fénétylline comme principe actif, une drogue de synthèse de la famille des amphétamines.

Désormais, cette drogue ne contient plus de fénétylline, s’apparente plutôt au speed et elle concentre sa production et sa consommation au Moyen-Orient. La valeur marchande de la drogue produite en Syrie dépassant la valeur des exportations légales du pays a fait basculer ce pays dans le club des narco-État, d’autant que le rapport du New Line Institute révèle que la famille du Président Bachar El-Assad est personnellement impliquée dans la production et la commercialisation du captagon.

Selon le rapport, le régime syrien utilise ce commerce pour survivre économiquement et politiquement suite aux sanctions internationales qui le frappent depuis le déclenchement de la guerre en 2011.

La Syrie n’est cependant pas le seul producteur de captagon, le Liban, par ailleurs troisième exportateur mondial de haschich derrière le Maroc et l’Afghanistan, abrite ces unités de production plus petites et sert d’extension au commerce du captagon syrien en constituant un point de transit névralgique pour le trafic.

Le rapport souligne également que le régime syrien bénéficie du soutien de plusieurs milices, dont le Hezbollah libanais, pour organiser son trafic et assurer la contrebande dans les zones contrôlées à la frontière entre les deux pays.

Le Hezbollah a ainsi pu faire profiter la Syrie de son expérience dans la contrebande de cannabis libanais pour installer et contrôler le commerce de captagon. Actuellement utilisé comme drogue récréative par la jeunesse aisée d’Arabie Saoudite où la pilule se vend 20 dollars et par de nombreux consommateurs en Syrie, où elle est vendue moins de un dollar, le captagon, grâce à ces motifs d’utilisation variés, pourrait finir par trouver un marché porteur en Europe indique Caroline Rose.

https://www.letemps.ch/sciences/moyenorient-trafic-captagon-depasse-5-milliards-dollars-2021

 

Pour assurer le commerce du captagon, Bachar El-Assad se sert des réseaux qui lui sont affiliés pour acheminer la drogue qu’il produit vers la péninsule arabique, notamment en passant par le Liban voisin.

L’implication de la Syrie dans le commerce de la drogue en Syrie a commencé lors de l’occupation d’une partie du Liban en 1976 par les troupes syriennes et que Hafez El-Assad a décidé de prélever une dîme sur la production de haschich de la plaine de la Bekaa. Il va ensuite inciter à la production de pavot en installant des laboratoires de transformation de l’opium en héroïne sous le contrôle de son armée.

Des élites du régime syrien gèrent alors ce trafic avec l’aide de gangsters, les chabbiha, et à leur tête le général Ali Douba, le patron des renseignements militaires, qui fût ensuite écarté par Bachar El-Assad à son arrivée au pouvoir en 2000. Le départ de l’armée syrienne du Liban en 2005 marque la fin de la première période du cartel de drogue syrien.

Mais avec la forte demande de captagon en Arabie-Saoudite, le régime syrien a ensuite développé sur son sol les unités de production pour mieux les contrôler. Ces unités ont permis de fournir la drogue aux différents acteurs du conflit, miliciens et combattants syriens, et a contribué à assurer une entrée importante de devises pour les différentes forces en présence, y compris les jihadistes de Daesh.

Ces derniers ont développé leurs propres unités et exportent la production vers la Turquie et les zones contrôlées par le régime syrien. Avec la reconquête du territoire, Bachar El-Assad contrôle désormais la plupart de la production régionale de captagon et la direction opérationnelle du trafic est assurée par le frère de Bachar El-Assad, le général Maher El-Assad, chef de la quatrième division, la garde rapprochée du Président.

Grâce aux ateliers de production protégés par des soldats en uniforme et parfois même installés dans les zones militaires à accès limité et au contrôle du territoire assuré par la Quatrième division, la circulation du captagon se fait sans obstacle majeur.

Une enquête récente du New York Times révèle le nom de deux relais civils du trafic de drogue syrien, Amer Khiti et Khodr Taher, tous deux récompensés par le régime, le premier avec un poste de député aux élections de juillet 2020 et le second par une décoration à l’ordre du mérite.

Cette mainmise de Bachar El-Assad sur le trafic de captagon lui permet à la fois d’asseoir son autorité pour contrôler et étouffer d’éventuels scandales comme ceux liés aux ambitions économiques de son épouse ou à la fronde de son cousin, Ibrahim Makhlouf, et aussi de resserrer les liens avec le Hezbollah libanais, partenaire indispensable pour exporter la drogue depuis le Liban.

Bachar El-Assad a dû revoir sa stratégie au printemps 2021 car l’Arabie-Saoudite, constatant une augmentation des saisies de captagon caché dans les fruits et légumes en provenance du Liban, a décidé d’un embargo sur ces produits.

Le Président syrien s’est alors tourné vers la Jordanie qui a connu à partir d’août 2021 de nombreuses tentatives d’incursion de cargaisons illicites.

Des actions récentes se sont notamment traduites par la destruction d’un drone remplit de captagon à la frontière jordanienne ou par la mort d’un officier jordanien aux prises avec des trafiquants venants de Syrie. L’inquiétude des autorités jordaniennes grandit face à l’augmentation du trafic car elles estiment qu’environ 1/5 de la drogue destinée à l’Arabie Saoudite pourrait être consommé localement, alors que le pays était jusqu’à présent plutôt épargné par la consommation de drogue.

https://www.lemonde.fr/blog/filiu/2022/01/23/assad-a-la-tete-du-trafic-de-captagon-au-moyen-orient/

 
 
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Trafic de captagon au Moyen-Orient

 

En 2021, le trafic de captagon, une amphétamine de synthèse, a dépassé les 5 milliards de dollars au Moyen-Orient selon un rapport du New Line Institut. Selon les auteurs du rapport, Caroline Rose et Alexander Soderholm, l’augmentation du commerce de captagon, notamment au Moyen-Orient et en Méditerranée, entre 2020 et 2021 se situe autour de 2 milliards de dollars et uniquement sur la base des saisies réalisées, estimé à 420 millions de comprimés, alors que certains pays ne divulguent pas de statistiques annuelles.

La quantité déclarée saisie ne reflète donc qu’une partie des quantités réellement saisies, elle-même ne reflétant qu’une petite proportion des quantités produites.

Le captagon, principalement produit en Syrie et principalement consommé en Arabie-Saoudite, est facilement reconnaissable avec ses deux demi-lunes imprimées sur le comprimé et il était initialement commercialisé en Allemagne dans les années 60 avec la fénétylline comme principe actif, une drogue de synthèse de la famille des amphétamines.

Désormais, cette drogue ne contient plus de fénétylline, s’apparente plutôt au speed et elle concentre sa production et sa consommation au Moyen-Orient. La valeur marchande de la drogue produite en Syrie dépassant la valeur des exportations légales du pays a fait basculer ce pays dans le club des narco-État, d’autant que le rapport du New Line Institute révèle que la famille du Président Bachar El-Assad est personnellement impliquée dans la production et la commercialisation du captagon.

Selon le rapport, le régime syrien utilise ce commerce pour survivre économiquement et politiquement suite aux sanctions internationales qui le frappent depuis le déclenchement de la guerre en 2011.

La Syrie n’est cependant pas le seul producteur de captagon, le Liban, par ailleurs troisième exportateur mondial de haschich derrière le Maroc et l’Afghanistan, abrite ces unités de production plus petites et sert d’extension au commerce du captagon syrien en constituant un point de transit névralgique pour le trafic.

Le rapport souligne également que le régime syrien bénéficie du soutien de plusieurs milices, dont le Hezbollah libanais, pour organiser son trafic et assurer la contrebande dans les zones contrôlées à la frontière entre les deux pays.

Le Hezbollah a ainsi pu faire profiter la Syrie de son expérience dans la contrebande de cannabis libanais pour installer et contrôler le commerce de captagon. Actuellement utilisé comme drogue récréative par la jeunesse aisée d’Arabie Saoudite où la pilule se vend 20 dollars et par de nombreux consommateurs en Syrie, où elle est vendue moins de un dollar, le captagon, grâce à ces motifs d’utilisation variés, pourrait finir par trouver un marché porteur en Europe indique Caroline Rose.

https://www.letemps.ch/sciences/moyenorient-trafic-captagon-depasse-5-milliards-dollars-2021

 

Pour assurer le commerce du captagon, Bachar El-Assad se sert des réseaux qui lui sont affiliés pour acheminer la drogue qu’il produit vers la péninsule arabique, notamment en passant par le Liban voisin.

L’implication de la Syrie dans le commerce de la drogue en Syrie a commencé lors de l’occupation d’une partie du Liban en 1976 par les troupes syriennes et que Hafez El-Assad a décidé de prélever une dîme sur la production de haschich de la plaine de la Bekaa. Il va ensuite inciter à la production de pavot en installant des laboratoires de transformation de l’opium en héroïne sous le contrôle de son armée.

Des élites du régime syrien gèrent alors ce trafic avec l’aide de gangsters, les chabbiha, et à leur tête le général Ali Douba, le patron des renseignements militaires, qui fût ensuite écarté par Bachar El-Assad à son arrivée au pouvoir en 2000. Le départ de l’armée syrienne du Liban en 2005 marque la fin de la première période du cartel de drogue syrien.

Mais avec la forte demande de captagon en Arabie-Saoudite, le régime syrien a ensuite développé sur son sol les unités de production pour mieux les contrôler. Ces unités ont permis de fournir la drogue aux différents acteurs du conflit, miliciens et combattants syriens, et a contribué à assurer une entrée importante de devises pour les différentes forces en présence, y compris les jihadistes de Daesh.

Ces derniers ont développé leurs propres unités et exportent la production vers la Turquie et les zones contrôlées par le régime syrien. Avec la reconquête du territoire, Bachar El-Assad contrôle désormais la plupart de la production régionale de captagon et la direction opérationnelle du trafic est assurée par le frère de Bachar El-Assad, le général Maher El-Assad, chef de la quatrième division, la garde rapprochée du Président.

Grâce aux ateliers de production protégés par des soldats en uniforme et parfois même installés dans les zones militaires à accès limité et au contrôle du territoire assuré par la Quatrième division, la circulation du captagon se fait sans obstacle majeur.

Une enquête récente du New York Times révèle le nom de deux relais civils du trafic de drogue syrien, Amer Khiti et Khodr Taher, tous deux récompensés par le régime, le premier avec un poste de député aux élections de juillet 2020 et le second par une décoration à l’ordre du mérite.

Cette mainmise de Bachar El-Assad sur le trafic de captagon lui permet à la fois d’asseoir son autorité pour contrôler et étouffer d’éventuels scandales comme ceux liés aux ambitions économiques de son épouse ou à la fronde de son cousin, Ibrahim Makhlouf, et aussi de resserrer les liens avec le Hezbollah libanais, partenaire indispensable pour exporter la drogue depuis le Liban.

Bachar El-Assad a dû revoir sa stratégie au printemps 2021 car l’Arabie-Saoudite, constatant une augmentation des saisies de captagon caché dans les fruits et légumes en provenance du Liban, a décidé d’un embargo sur ces produits.

Le Président syrien s’est alors tourné vers la Jordanie qui a connu à partir d’août 2021 de nombreuses tentatives d’incursion de cargaisons illicites.

Des actions récentes se sont notamment traduites par la destruction d’un drone remplit de captagon à la frontière jordanienne ou par la mort d’un officier jordanien aux prises avec des trafiquants venants de Syrie. L’inquiétude des autorités jordaniennes grandit face à l’augmentation du trafic car elles estiment qu’environ 1/5 de la drogue destinée à l’Arabie Saoudite pourrait être consommé localement, alors que le pays était jusqu’à présent plutôt épargné par la consommation de drogue.

https://www.lemonde.fr/blog/filiu/2022/01/23/assad-a-la-tete-du-trafic-de-captagon-au-moyen-orient/

  
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