Le 6 Mai 2021 , le tunnel sous la Manche fêtera ses 25 ans d’exploitation .
En 1801, Albert Mathieu-Favier conçoit un projet de lien fixe entre l’Angleterre et l’Europe consistant en un tunnel composé de deux galeries superposées. La première, pavée et éclairée, devait servir aux malles-postes tandis que la seconde aurait servi à l’écoulement des eaux d’infiltration. Au milieu du trajet, une île artificielle aurait permis une halte aux voyageurs. Les guerres napoléoniennes provoquèrent l’abandon de ce projet .
En 1803, un Anglais propose l’immersion d’un tube métallique dans un fossé creusé au fond du détroit. Cependant si cette solution évitait le problème du relief accidenté du fond de la Manche, des problèmes comme la pression à cette profondeur ont bloqué cette proposition.
À partir de 1833, l’ingénieur français Aimé Thomé de Gamond étudie les possibilités de lien fixe. Il finit par opter pour un tunnel ferroviaire foré. Pour ces études, il récupéra de nombreux éléments et alla jusqu’à faire des plongées en apnée pour étudier le fond marin. Après plusieurs présentations, son projet est accepté en 1867 par Napoléon III et la reine Victoria. La Guerre franco-prussienne de 1870 fit suspendre le projet 15.
D’autres projets ont ensuite été étudiés. Parmi ceux-ci, une locomotive sous-marine imaginée en 1869 ou un « pont-tube » fut proposé par un ingénieur en 1875.
Eugène Burel, un ingénieur français, est l’auteur à la fin des années 1870 d’un projet de traversée de la Manche dans le pas de Calais. Son idée est la constitution d’une digue par enrochement entre les rivages et les bancs marins de Varne d’un côté et de Colbert de l’autre, laissant subsister entre les deux bancs un chenal d’un kilomètre de large réservé à la navigation. La jonction entre les extrémités de la digue interrompue serait opérée au moyen de bacs à vapeur.
Un tracé avait été décidé à partir des travaux d’Aimé Thomé de Gamond. Des puits furent forés en France (notamment le puits de Sangatte sous la direction de Ludovic Breton et en Angleterre. Pour le forage, des perforatrices (machine Brunton puis machine de Frederick Beaumont (en)) avaient été mises au point. Le rythme de forage était d’environ 400 mètres par mois permettant d’espérer la fin du forage au bout de cinq ans. La Grande dépression et l’influence d’opposants au tunnel côté britannique firent que le projet fut de nouveau abandonné en 1883. Plus de 3 km de galeries avaient été creusées mais sont stoppées en 1883, l’Amirauté et le ministère du Commerce britanniques prétextant des dangers stratégiques ; l’historien Laurent Bonnaud note : « les militaires anglais ont mené une formidable campagne pour dénoncer des risques d’invasion française liés à la perte d’insularité. Cela restera la doctrine officielle pendant les soixante-dix ans suivants ». Les galeries déjà creusées sont ensuite murées.
Le 26 juillet 1957, le Groupement d’études pour le tunnel sous la Manche (GETM) est créé. Les experts se prononcent pour un tunnel ferroviaire double. En 1967, un appel d’offres est lancé par les deux gouvernements. Le Groupe du Tunnel sous la Manche composé de la Société française du Tunnel sous la Manche et de The British Channel Tunnel Company est désigné maître d’œuvre le 22 mars 1971. Le projet retenu est celui de deux tunnels ferroviaires entourant une galerie de service. Les travaux commencent en 1973. Pour les aspects juridiques, un traité franco-britannique est signé. Il est ratifié en décembre 1974 par le parlement français. Cependant le Royaume-Uni est plongé dans une crise économique et pour éviter une opinion défavorable, le gouvernement britannique abandonne une fois de plus le projet le 20 janvier 1975.
Une des difficultés de la solution en tunnel était l’incertitude géologique et la gestion du risque sismique, difficultés amoindries pour la solution « pont », mais qui génère d’autres problèmes (dont risques de collision dans un détroit qui compte parmi les plus fréquentés au monde par le trafic maritime)
À l’issue du sommet franco-britannique des 10 et 11 septembre 1981, un groupe d’experts, présidé par Andrew Lyall et Guy Braibant, représentants des ministres des Transports français et britannique, est créé. Margaret Thatcher avait affirmé sa préférence pour un franchissement routier plutôt que ferroviaire. Avec l’exploitation du tunnel, elle craignait d’offrir à la British Rail, « trop soumise aux syndicats », un moyen de pression considérable.
En 1983, le groupe d’experts se prononce néanmoins pour la construction d’un tunnel ferroviaire. Un groupement de cinq banques françaises et britanniques abondent en ce sens en soutenant que pour ce projet il faut une garantie des États. Ce point est refusé par Margaret Thatcher. De plus, le fait d’avoir des fonds privés permet d’éviter les abandons à la suite de décisions des gouvernements, mais expose à des plans de redressement avec intervention des États pour les sociétés privées défaillantes (tels ceux du groupe Eurotunnel, chargé de la construction et de l’exploitation). Le 2 avril 1985, les gouvernements fixent au 31 octobre la date limite pour que les promoteurs proposent des liaisons fixes trans-Manche pour véhicules routiers et ferroviaires.
Quatre projets furent proposés :
Europont : il s’agissait d’un pont-tube de 37 km soutenu par 8 pylônes de 340 m de hauteur, faisant appel à des techniques nouvelles, avec des travées longues de 5 km suspendues à des câbles en kevlar. Le pont aurait eu deux niveaux de 6 voies. Une liaison ferroviaire serait faite par un tunnel. Le coût était évalué à 68 milliards de francs.
Euroroute : c’était un ensemble routier pont-tunnel-pont. Les ponts à haubans avec des travées de 500 mètres de portée reliant des îles artificielles à la côte, et un tunnel de 21 km sous le fond de la mer. Des rampes hélicoïdales permettent le passage du pont au tunnel. Une liaison ferroviaire indépendante passe par deux tunnels. Le coût était évalué à 54 milliards de francs hors frais financiers.
Transmanche Express : ce projet a été présenté à la dernière minute par la société British Ferries. Il comprenait un ensemble de quatre tunnels (deux routiers et deux ferroviaires) unidirectionnels. Deux îles artificielles seraient créées pour assurer la ventilation des tunnels routiers via des puits. Le coût annoncé est de 30 milliards de francs
Eurotunnel : dans ses grandes lignes, ce projet reprenait celui de 1972 – 1975, d’un double tunnel ferroviaire avec un troisième tunnel de service. Ce projet a un coût estimé à 30 milliards de francs.
Le premier projet est écarté par crainte de collision avec les navires ainsi que l’utilisation de techniques non maîtrisées. Le troisième projet reçoit un avis défavorable car le système d’aération est considéré comme insuffisant et le coût semble sous-évalué. Restaient donc en compétition les projets Euroroute et Eurotunnel. Ce dernier fut sélectionné du fait de son coût inférieur mais également pour son impact jugé plus faible sur l’environnement et l’utilisation de techniques éprouvées. Le choix est entériné le 20 janvier 1986 par le Premier ministre britannique Margaret Thatcher et le président français François Mitterrand. Le traité de Cantorbéry, concernant notamment la frontière entre la France et le Royaume-Uni, est signé le 12 février 1986.
Une étude d’impact est faite. Le projet est soumis à enquête publique et assorti de mesures compensatoires et conservatoires :
L’inauguration officielle du tunnel par la reine Élisabeth II et le président François Mitterrand a eu lieu le 6 mai 1994.
La construction du tunnel sous la manche se déroule entre le 15 décembre 1987 et le 10 décembre 1993. Elle est principalement réalisée à l’aide de tunneliers qui creusent le tunnel sur une longueur totale cumulée de 148 km. Au maximum, 15 000 personnes (ouvriers, ingénieurs, géologues, informaticiens) ont travaillé au tunnel, 12 000 en rythme de croisière (4 000 du côté français, 8 000 du côté anglais dont le gouvernement voulait reconvertir les ouvriers victimes de la fermeture des mines de charbon)31.
Pour évacuer l’eau des infiltrations et les fuites de liquides chimiques dans les galeries, quatre stations de pompage ayant chacune une capacité de pompage de 2 000 m3 d’eau par heure sont construites. Elles sont situées aux points les plus bas du tunnel. En temps normal, les liquides sont d’abord stockés dans des puisards de service où ils sont ensuite pompés. En cas de défaillance du système principal, des puisards d’urgence (d’une capacité de 1 660 m3) ont été construits de chaque côté des sous-stations de pompage.
Tracé dans la couche dite de la craie bleue (Cénomanien)33, à une profondeur de 40 mètres sous le fond de la mer(profondeur maximale de 107,3 mètres sous le niveau moyen de la mer), le tunnel sous la Manche comprend en fait trois galeries :
deux tunnels ferroviaires, un pour chaque sens de circulation, de 7,6 mètres (utile) de diamètre (noté A sur le schéma ci-contre) ;
une galerie de service située entre les deux galeries ferroviaires, de 4,8 mètres (utile) de diamètre, dans laquelle circulent des véhicules spéciaux (noté B sur le schéma ci-contre).
Ces trois galeries, revêtues de voussoirs en béton armé, sont reliées entre elles tous les 375 mètres par des rameaux de communication. Ces rameaux permettent aussi la ventilation du tunnel en fonctionnement normal. De l’air frais est soufflé dans la galerie de service à ses extrémités, et cet air est ensuite distribué dans les tunnels ferroviaires via des clapets anti-retours, ce qui permet d’éviter toute contamination de la galerie de service par des fumées lors d’un incendie.
Enfin des rameaux de pistonnement (noté D sur le schéma ci-contre) relient les deux tunnels ferroviaires tous les 250 mètres et permettent à l’air de circuler et de diminuer, ainsi la variation de pression au passage des trains, et donc la résistance aérodynamique.
Les tunnels sont monodirectionnels et ne sont pas modulables, d’où l’aménagement d’aiguillages. Aux tiers du parcours (l’un français à 12,5 km des puits de Sangatte, l’autre britannique à 9 km de Shakespeare Cliff (en)), sont établis deux postes de liaisons des voies ferroviaires dans des cavités souterraines, nommées communications, traversées-jonctions, aiguillages ou cross-over, permettent de faire passer les trains d’une galerie à l’autre et d’isoler ainsi des tronçons de galeries en cas de nécessité (entretien, incident)36,37. En ces points, la galerie de service passe sous l’un des tunnels ferroviaires et se retrouve à côté et non plus entre les deux.
Trains à grande vitesse
Les trains de voyageurs qui utilisent le tunnel sous la Manche sont exploités par Eurostar, société dépendant de la SNCF, de British Rail et de la SNCB, qui est en situation de monopole depuis la mise en service commerciale du tunnel.
Un type spécial de TGV a été conçu pour cette utilisation : le TGV TMST. Il est adapté au gabarit et à l’alimentation électrique des réseaux qu’il est amené à parcourir: britannique (notamment captage du courant par troisième rail jusqu’en 2008), français et belge. Pour des raisons de sécurité dans le tunnel, il est sécable en son milieu, grâce à deux motrices entourant 18 voitures (deux fois neuf voitures). Il offre 800 places assises. Sa vitesse est limitée à 300 km/h sur les lignes à grande vitesse et à 160 km/h à l’intérieur du tunnel.
Depuis l’ouverture totale de la High Speed 1 en 2007, des trains au gabarit continental peuvent accéder à Londres. Eurostar a donc commandé, en 2010, 17 rames Eurostar e320 pour renforcer son parc, qui permettent en outre la création d’une liaison vers Amsterdam en 2018.
Le tunnel sous la Manche est accessible à la plupart des véhicules routiers hors camions (motos, voitures, fourgons, autocars) grâce aux navettes passagers qui circulent en temps normal vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Elles sont composées habituellement de deux rames de douze wagons porteurs entourés par deux wagons de chargement/déchargement et des locomotives électriques. Pour les véhicules ne dépassant pas 1,85 mètre de hauteur, les wagons à deux niveaux offrent une capacité de dix voitures (cinq par niveau). Des wagons à un niveau sont conçus pour les autocars et véhicules de plus de 1,85 m de hauteur.
Les wagons sont fermés et pendant le trajet chaque wagon est séparé des autres par des cloisons coupe-feu.Les wagons pour les navettes passagers à double pont ont été fabriqués par ANF Industrie à Crespin. Au total, 108 unités ont été commandées. Ces véhicules, de conception unique en acier inoxydable, sont prévus pour une durée de vie de trente ans avec une utilisation vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept.Début 2011, le parc de navettes passagers est composé de 9 rames, composées de 216 wagons porteurs et 38 wagons chargeurs.La rénovation complète de l’ensemble du parc des navettes passagers a été confiée à Bombardier Transport ; la livraison des rames rénovées se déroulera entre mi-2022 et mi-2026.
Depuis la mise en service de l’ouvrage, plusieurs incidents ont rendu nécessaire la suspension de l’exploitation d’une partie du tunnel, aucune n’ayant fait de victimes :
Le 18 novembre 1996, l’incendie d’une navette pour poids lourds à 17 km de l’entrée française dans le tunnel sud provoque la fermeture de ce tunnel. Il rouvre en décembre 1996 pour le trafic Eurostar mais le trafic des navettes Fret ne reprend dans le tunnel sud qu’après plusieurs mois de travaux ;
Le 11 septembre 2008, une navette pour poids lourds prend feu à 11 km de l’entrée française du tunnel Nord ;
Durant l’hiver 2009-2010 en Europe, les conditions climatiques en décembre 2009 ont causé des pannes électriques des rames Eurostar dans le tunnel, forçant des milliers de voyageurs à l’évacuation ;
Le 29 novembre 2012, peu après 14 h, un camion s’enflamme sur une navette de Fret alors qu’elle se situe à 7 km de l’entrée française dans le sens Grande-Bretagne-France. Elle avait à son bord 36 personnes (équipage et chauffeurs) qui n’ont pas été touchées. L’incendie a été maîtrisé vers 14 h 30 et arrêté vers 14 h 50. Le trafic a pu reprendre progressivement dès 16 h. Un seul camion et sa cargaison ont été détruits;
Le 17 janvier 2015, au cours de l’après-midi, un camion s’enflamme dans le tunnel nord dans le sens Angleterre-France ; le trafic est interrompu et les passagers sont évacués.
Côté anglais, le tunnel est accessible par la sortie 11 de la M20, sur la commune de Folkestone.
Malgré les inquiétudes quant à l’évolution du trafic maritime des deux côtés du tunnel, celui-ci s’est maintenu après l’ouverture du tunnel et a même augmenté au port de Calais : le trafic voyageurs y a aussi augmenté de moitié entre 1992 et 1998 et le tonnage du port de marchandises a doublé entre 1990 et 1998.
L’ouverture des terminaux de Coquelles et de Folkestone a permis l’ouverture de grandes zones d’activités. Le terminal de Coquelles s’étend ainsi sur 700 hectares (en grande partie imperméabilisés), parmi lesquels 90 000 m2 sont consacrés aux activités commerciales et culturelles de la Cité Europe.
Foncier : Deux études ont porté sur la période 1975 à 1981 et sur les marchés fonciers de Calais, Saint-Omer, Boulogne-sur-Mer, Arras et de la Côte d’Opale. puis sur cinq bassins d’habitat du littoral de 1987 à 198963 ; elles ont montré qu’en 1989, il existait un marché de l’arrière-pays (hors Haut-Artois) mais que les acteurs du marché foncier ne semblaient pas encore avoir anticipé ou pris en compte l’effet « lien fixe-transmanche » et l’amélioration du réseau routier.
En 1992, une nouvelle étude de L’ADEF (commande de l’Observatoire Régional de l’Habitat et de l’Aménagement du Nord – Pas de Calais de la D.R.E) a porté sur l’impact du tunnel sur la plus-value foncière et la production de terrain à bâtir dans un rayon de 35 à 40 km à vol d’oiseau du tunnel, et d’éventuelles « alternatives envisagées sous l’angle foncier par les acteurs locaux vis-à-vis de cette nouvelle donne .
Le chantier s’étant terminé avec un an de retard et la facture étant presque deux fois plus élevée que prévu (coût initial de construction de 27,3 milliards de francs, soit un total de 47,8 milliards, à un coût final de 87,9 milliards, Eurotunnel s’est retrouvé avec une dette de 9 milliards d’euros, soit 10 fois son chiffre d’affaires, la moitié des recettes annuelles étant dépensée pour financer le remboursement des intérêts. Arrivé à la tête de l’entreprise en 2005, Jacques Gounon déclare : « Si rien [n’est] fait, Eurotunnel [va faire] faillite le 31 janvier 2007, date correspondant à une échéance de remboursement du capital. Son cri d’alarme a créé un électrochoc salutaire ». La dette a par la suite été renégociée avec les actionnaires, en étant réduite de moitié, le trafic sera relancé et la société redeviendra bénéficiaire en 201122.
Avenir
Le 13 octobre 2010, pour la première fois, un train de passagers d’un autre opérateur — la Deutsche Bahn — a circulé dans le tunnel de manière autonome, roulant quelques kilomètres à 30 km/h en direction de l’Angleterre, avant de faire marche-arrière et de ressortir côté français Une semaine plus tard, un autre train de la Deutsche Bahn est arrivé à Londres en gare de Saint-Pancras, tracté par une locomotive.
La libéralisation du trafic ferroviaire de passagers dans l’Union européenne ouvre à la concurrence l’accès au Tunnel sous la Manche, mais la Deutsche Bahn doit d’abord se conformer aux normes techniques imposées par la commission intergouvernementale assurant sa gestion, ainsi qu’à l’obligation de mise en place du contrôle des passagers et de leurs bagages dans les gares allemandes.
La possibilité de la création d’un deuxième tunnel sous la Manche est en réflexion au cas où le premier tunnel arrive à saturation.
Toutefois en 2015 il était estimé que les capacités du tunnel n’étaient exploitées qu’à 50 %69, Eurotunnel a donc fixé un plan stratégique “Vision 2020″70 avec pour objectif d’augmenter le trafic de 100 trains/jour soit un train toutes les 2 min 30 s au lieu des 3 min actuelles.