Le parallèle économique avec les années 70

 

L’état de l’économie mondial en 2022 ressemble à celui qui pouvait être observé dans les années 70, mais selon Jezabel Couppey-Soubeyran, maîtresse de conférences en économie à l’université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne et corédactrice en chef de l’ouvrage «l’économie mondiale en 2023 », publié par le Cepii, le centre d’études prospectives et d’informations internationale, le contexte actuel est à plusieurs égards potentiellement plus explosifs.

Les espoirs de reprise post-Covid 19 sont balayés par le conflit en Ukraine et ses conséquences sur les chaînes d’approvisionnement mondial, sur les prix de l’énergie et les prix alimentaires. La crise énergétique qui s’annonce en Europe et les pressions inflationnistes nourrissent le pessimisme ambiant. Pour Thomas Grjebine, l’un des économistes du Cepii, le parallèle avec la stagflation des années 70 ne pousse pas à l’optimisme.

Dans les années 70, les banques centrales avaient fortement relevé les taux d’intérêt pour lutter contre l’inflation qui avait résulté des deux chocs pétroliers et de l’indexation des salaires sur l’inflation. Le résultat avait été une récession mondiale et une crise de la dette des pays en développement.

Actuellement, les taux d’intérêt commencent à remonter, ce qui pourrait amener à un résultat identique à celui des années 70. Thomas Grjebine indique que depuis 2010, l’économie mondiale a connu la vague d’endettement la plus importante et la plus rapide des cinquante dernières années.

L’endettement dans une devise étrangère peut constituer un vrai danger pour les pays qui voient leur dette augmenter car ils ne contrôlent pas la monnaie étrangère dans laquelle ils s’endettent, comme les pays européens qui s’endettent en euro mais qui n’est pas directement contrôlé par chaque pays.

L’économiste alerte sur une éventuelle fragmentation de la zone euro, l’endettement public le plus important concernant surtout les pays du Sud de l’Europe, avec la Grèce et une dette atteignant 200% du PIB, l’Italie avec une dette de 150% du PIB et l’Espagne avec une dette de 123% du PIB. La dette en devise étrangère des pays émergents et en développement représente 25% de la dette publique contre 15% en 2009 et la dette privée de ces pays s’élève à 142% du PIB en 2020 contre 32% à la fin des années 70.

La crise de la dette dépendra alors du niveau de resserrement monétaire américain, avec en toile de fond la crise de la dette qu’ont connu les pays d’Amérique latine en 1979 et le défaut de paiement du Mexique en 1982. Le Cepii observe également des revendications salariales qui vont de pair avec une augmentation de l’inflation comme à la fin des années 60 et au début des années 70.

Thomas Grjebine constate que pour la France, le salaire minimum a augmenté de 130% entre 1968 et 1983 et que le salaire moyen a augmenté de 50% sur cette même période. Le cercle autoentretenu entre inflation, revendications sociales et augmentation des salaires n’avait pris fin qu’avec la désindexation des salaires dans les années 80.

Actuellement, le retour de l’inflation et le ralentissement de la mondialisation pourraient rendre inefficace l’équilibre qui prévaut depuis plusieurs décennies entre une hausse des salaires modérée en contrepartie des gains de pouvoir d’achat réalisés grâce à la mondialisation des échanges et la désinflation importée qu’elle génère.

La demande pour un rééquilibrage des salaires a déjà pu s’observer aux États-Unis avec les grèves qui ont émergées dès la fin des premières vagues de la pandémie et avec le phénomène de la grande démission. Dans la plupart des pays de l’OCDE, la croissance des salaires horaires réels est devenue négative et a commencé à affecter le pouvoir d’achat des ménages, prémices de possibles tensions sociales à venir.

La croissance mondiale devrait également être impactée par le ralentissement de l’économie chinoise qui représentait depuis vingt ans le quart de la croissance mondiale. Ce ralentissement n’est pas uniquement dû à la politique zéro Covid de la Chine mais aussi à des raisons plus structurelles et notamment le vieillissement de la population, le pic de la population en âge de travailler ayant été atteint en 2010. A cela s’ajoute, dans les pays comme le Japon ou la Corée du Sud, un ralentissement de la croissance de la productivité. L’Europe, pour sa part, est surtout menacée par un choc énergétique en raison du conflit en Ukraine et des interruptions des livraisons de gaz russe.

Pour L’OCDE, il est probable que les secteurs manufacturiers et les services marchands aient à faire face à une baisse de l’ordre de 3% de leur production, voire plus si des entreprises doivent complètement arrêter leur production, selon le Cepii. Pour Thomas Grjebine, un arrêt total des importations de gaz russe conduirait à une baisse du PIB allemand comprise entre 3 et 8% et le risque de voir des faillites dans le secteur des industries les plus consommatrices d’énergie, comme la métallurgie, est réel.

https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/leconomie-mondiale-au-bord-du-precipice-1786390

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Le parallèle économique avec les années 70

 

L’état de l’économie mondial en 2022 ressemble à celui qui pouvait être observé dans les années 70, mais selon Jezabel Couppey-Soubeyran, maîtresse de conférences en économie à l’université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne et corédactrice en chef de l’ouvrage «l’économie mondiale en 2023 », publié par le Cepii, le centre d’études prospectives et d’informations internationale, le contexte actuel est à plusieurs égards potentiellement plus explosifs.

Les espoirs de reprise post-Covid 19 sont balayés par le conflit en Ukraine et ses conséquences sur les chaînes d’approvisionnement mondial, sur les prix de l’énergie et les prix alimentaires. La crise énergétique qui s’annonce en Europe et les pressions inflationnistes nourrissent le pessimisme ambiant. Pour Thomas Grjebine, l’un des économistes du Cepii, le parallèle avec la stagflation des années 70 ne pousse pas à l’optimisme.

Dans les années 70, les banques centrales avaient fortement relevé les taux d’intérêt pour lutter contre l’inflation qui avait résulté des deux chocs pétroliers et de l’indexation des salaires sur l’inflation. Le résultat avait été une récession mondiale et une crise de la dette des pays en développement.

Actuellement, les taux d’intérêt commencent à remonter, ce qui pourrait amener à un résultat identique à celui des années 70. Thomas Grjebine indique que depuis 2010, l’économie mondiale a connu la vague d’endettement la plus importante et la plus rapide des cinquante dernières années.

L’endettement dans une devise étrangère peut constituer un vrai danger pour les pays qui voient leur dette augmenter car ils ne contrôlent pas la monnaie étrangère dans laquelle ils s’endettent, comme les pays européens qui s’endettent en euro mais qui n’est pas directement contrôlé par chaque pays.

L’économiste alerte sur une éventuelle fragmentation de la zone euro, l’endettement public le plus important concernant surtout les pays du Sud de l’Europe, avec la Grèce et une dette atteignant 200% du PIB, l’Italie avec une dette de 150% du PIB et l’Espagne avec une dette de 123% du PIB. La dette en devise étrangère des pays émergents et en développement représente 25% de la dette publique contre 15% en 2009 et la dette privée de ces pays s’élève à 142% du PIB en 2020 contre 32% à la fin des années 70.

La crise de la dette dépendra alors du niveau de resserrement monétaire américain, avec en toile de fond la crise de la dette qu’ont connu les pays d’Amérique latine en 1979 et le défaut de paiement du Mexique en 1982. Le Cepii observe également des revendications salariales qui vont de pair avec une augmentation de l’inflation comme à la fin des années 60 et au début des années 70.

Thomas Grjebine constate que pour la France, le salaire minimum a augmenté de 130% entre 1968 et 1983 et que le salaire moyen a augmenté de 50% sur cette même période. Le cercle autoentretenu entre inflation, revendications sociales et augmentation des salaires n’avait pris fin qu’avec la désindexation des salaires dans les années 80.

Actuellement, le retour de l’inflation et le ralentissement de la mondialisation pourraient rendre inefficace l’équilibre qui prévaut depuis plusieurs décennies entre une hausse des salaires modérée en contrepartie des gains de pouvoir d’achat réalisés grâce à la mondialisation des échanges et la désinflation importée qu’elle génère.

La demande pour un rééquilibrage des salaires a déjà pu s’observer aux États-Unis avec les grèves qui ont émergées dès la fin des premières vagues de la pandémie et avec le phénomène de la grande démission. Dans la plupart des pays de l’OCDE, la croissance des salaires horaires réels est devenue négative et a commencé à affecter le pouvoir d’achat des ménages, prémices de possibles tensions sociales à venir.

La croissance mondiale devrait également être impactée par le ralentissement de l’économie chinoise qui représentait depuis vingt ans le quart de la croissance mondiale. Ce ralentissement n’est pas uniquement dû à la politique zéro Covid de la Chine mais aussi à des raisons plus structurelles et notamment le vieillissement de la population, le pic de la population en âge de travailler ayant été atteint en 2010. A cela s’ajoute, dans les pays comme le Japon ou la Corée du Sud, un ralentissement de la croissance de la productivité. L’Europe, pour sa part, est surtout menacée par un choc énergétique en raison du conflit en Ukraine et des interruptions des livraisons de gaz russe.

Pour L’OCDE, il est probable que les secteurs manufacturiers et les services marchands aient à faire face à une baisse de l’ordre de 3% de leur production, voire plus si des entreprises doivent complètement arrêter leur production, selon le Cepii. Pour Thomas Grjebine, un arrêt total des importations de gaz russe conduirait à une baisse du PIB allemand comprise entre 3 et 8% et le risque de voir des faillites dans le secteur des industries les plus consommatrices d’énergie, comme la métallurgie, est réel.

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