La volte face de la Chine sur la Covid-19

 

La décision chinoise d’assouplir en fin d’année 2022 les règles du zéro Covid en vigueur depuis 2 ans a surpris et a semblé être une réponse au mécontentement croissant de la population. En parallèle, des signes d’assouplissement sont aussi apparus quant à l’adoption par les autorités de régulation d’une approche moins contraignantes concernant le secteur technologique chinois.

La détente de la politique zéro Covid a commencé début décembre lorsque les chinois présentant de légers symptômes ont été autorisés à s’isoler chez eux et non plus dans un site étatique de quarantaine, puis la détente s’est poursuivie par la disparition de l’application de traçage. A partir du 8 janvier, les voyages sont facilités, les chinois arrivant de l’étranger n’étant plus soumis à une quarantaine obligatoire.

Des manifestants à Beijing, en Chine, avec des feuilles blanches dans les mains.

Mais alors que le nombre d’infections a augmenté de manière exponentielle ces dernières semaines, il n’aurait pas été surprenant que la Chine resserre à nouveau ses mesures, si bien que l’OMS soupçonne le pays de sous-déclarer les chiffres réels de l’épidémie. Ces soupçons concernant les indicateurs de la Covid-19 ne sont pas nouveaux mais le plus frappant est la vitesse à laquelle la Chine a subitement inversé sa politique vis-à-vis de l’épidémie. Dans le même temps, un second changement radical s’amorce dans le pays au niveau des entreprises technologiques.

La filiale du géant du commerce électronique Alibaba et opérateur du service de paiement en ligne Alipay, Ant Group, a ainsi été autorisée par le régulateur chinois à investir 1,44 milliards d’euros dans sa propre filiale. Il est à noter que Ant Group avait été l’une des premières victimes des mesures prises par le gouvernement chinois à l’encontre du secteur technologique car en 2020, le gouvernement avait mis fin à l’introduction en bourse de Ant Group, alors la plus grande introduction en bourse du monde, à la bourse de Hong-Kong et de Shanghai.

Depuis, les relations entre le fondateur d’Alibaba, Jack Ma et le gouvernement chinois s’étaient fortement refroidies et il est prévu que Jack Ma se retire d’Ant Group suite à une réorganisation commencé en 2020 au moment des mesures répressives. Mais depuis janvier l’avenir du secteur technologique en Chine reprend des couleurs et se traduit déjà par une hausse importante des actions chinoises à Wall Street.

Trois raisons principales peuvent expliquer ces revirements soudains concernant des mesures pourtant conformes à la charte idéologique prônée par Xi Jinping. Une première raison vient des voyages effectués fin 2022 par le dirigeant chinois à l’étranger, une première depuis l’apparition de l’épidémie de la Covid-19 en 2020.

Xi Jinping s’est rendu au Kazakhstan en septembre, puis en Ouzbékistan pour le 22ème sommet annuel de l’organisation de la coopération de Shanghai. En novembre, il s’est rendu au sommet du G20 en Indonésie, marqué par la fermeté de son discours vis-à-vis du premier ministre canadien Justin Trudeau.

Il était ensuite présent en Thaïlande dans le cadre de la coopération Asie-Pacifique puis en décembre à Ryad en Arabie-Saoudite pour demander que les livraisons de pétrole soient libellées en yuans plutôt qu’en dollars américains, signe important montrant que la Chine souhaite dédollariser le système financier mondial.

Plusieurs observateurs, en Chine y compris, pensent que ces voyages ont permis à Xi Jinping de prendre conscience que le monde s’apprêtait à clore le chapitre Covid-19 alors que dans le même temps éclataient les manifestations les plus violentes contre la politique zéro Covid qu’aient connues la Chine. S’il s’avère que le président chinois a profité de cet épisode pour donner des consignes pour réduire les mesures en vigueur, cela montrerait l’énorme pouvoir de Xi Jinping, bien que conforme à la tradition du pouvoir des premiers secrétaires du parti communiste chinois.

Une deuxième raison a été avancée par Anne Stevenson-Yang, experte de la Chine qui fournit aussi des données sur l’économie du pays avec son cabinet de recherche J Capital Research. Selon sa théorie, Xi Jinping aurait été mis à l’écart par une élite politique et économique qui est rapidement revenue sur les décisions politiques les plus marquantes de ces dernières années. Anne Stevenson-Yang indique dans un interview au site The Market que pour la première fois depuis 1949, des critiques ont été entendues sur le gouvernement et le parti communiste, que des manifestations ont éclaté demandant la démission de Xi Jinping et que cette situation est très dangereuse pour le parti communiste.

Dans le même temps, des émissaires australiens et américains ont été réinvités pour des discussions en Chine et des termes clés tels que prospérité commune, caractéristiques de la pensée de Xi Jinping ont disparu du vocabulaire d’un sommet du parti en décembre. Ces éléments laisseraient penser selon Anne Stevenson-Yang que quelque chose d’important s’est produit en interne pour renverser le pouvoir de Xi Jinping.

Si cette théorie semble plausible, elle reflète peut-être aussi une certaine naïveté occidentale. Les experts et politiciens occidentaux ont cru pendant des années à l’existence d’une aile libérale au sein du parti communiste chinois qui pourrait un jour arriver au pouvoir et ouvrir le pays au reste du monde. Les évènements récents montrent que la Chine emprunte plutôt une voie conservatrice avec Xi Jinping et ses lieutenants solidement attachés au pouvoir.

La troisième raison qui expliquerait ces revirements soudains s’attache à montrer que les décisions du gouvernement chinois ont été prises de manière très calculée et non sous le coup de l’émotion et des manifestations. Fin 2022, les rumeurs concernant l‘assouplissement des mesures zéro Covid couraient déjà depuis plusieurs mois et il reste possible que les manifestations aient accélérées les décisions. Mais les changements observés prennent beaucoup plus de sens si on observe la situation économique du pays.

Un investisseur chinois, le 26 août dernier (REUTERS/Jason Lee)

La Chine présente depuis plusieurs mois des indicateurs économiques inférieurs aux attentes et les chiffres de la démographie confirment que la population chinoise vieillit et va bientôt diminuer. Le gouvernement chinois a maintenu aussi longtemps que possible une politique zéro Covid pour éviter des millions de morts et tester ses capacités à contrôler la population. Mais en maintenant cette politique, le parti communiste a constaté que la production industrielle s’est effondrée et que de grandes multinationales ont fui le pays pour s’installer dans les pays voisins comme le Vietnam et il s’est résolu à l’abandonner progressivement.

La relance de l’économie chinoise passera certainement par le secteur le plus innovant et le plus polyvalent, celui des technologies. Les entreprises motrices de ce secteur comme Ant Group pourraient jouer un rôle important dans les différents projets développés par Pékin, comme le yuan numérique ou ceux visant à détrôner le dollar comme monnaie de réserve mondiale.

https://fr.businessam.be/revirement-soudain-chine-qui-tire-ficelles-pekin/

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La volte face de la Chine sur la Covid-19

 

La décision chinoise d’assouplir en fin d’année 2022 les règles du zéro Covid en vigueur depuis 2 ans a surpris et a semblé être une réponse au mécontentement croissant de la population. En parallèle, des signes d’assouplissement sont aussi apparus quant à l’adoption par les autorités de régulation d’une approche moins contraignantes concernant le secteur technologique chinois.

La détente de la politique zéro Covid a commencé début décembre lorsque les chinois présentant de légers symptômes ont été autorisés à s’isoler chez eux et non plus dans un site étatique de quarantaine, puis la détente s’est poursuivie par la disparition de l’application de traçage. A partir du 8 janvier, les voyages sont facilités, les chinois arrivant de l’étranger n’étant plus soumis à une quarantaine obligatoire.

Des manifestants à Beijing, en Chine, avec des feuilles blanches dans les mains.

Mais alors que le nombre d’infections a augmenté de manière exponentielle ces dernières semaines, il n’aurait pas été surprenant que la Chine resserre à nouveau ses mesures, si bien que l’OMS soupçonne le pays de sous-déclarer les chiffres réels de l’épidémie. Ces soupçons concernant les indicateurs de la Covid-19 ne sont pas nouveaux mais le plus frappant est la vitesse à laquelle la Chine a subitement inversé sa politique vis-à-vis de l’épidémie. Dans le même temps, un second changement radical s’amorce dans le pays au niveau des entreprises technologiques.

La filiale du géant du commerce électronique Alibaba et opérateur du service de paiement en ligne Alipay, Ant Group, a ainsi été autorisée par le régulateur chinois à investir 1,44 milliards d’euros dans sa propre filiale. Il est à noter que Ant Group avait été l’une des premières victimes des mesures prises par le gouvernement chinois à l’encontre du secteur technologique car en 2020, le gouvernement avait mis fin à l’introduction en bourse de Ant Group, alors la plus grande introduction en bourse du monde, à la bourse de Hong-Kong et de Shanghai.

Depuis, les relations entre le fondateur d’Alibaba, Jack Ma et le gouvernement chinois s’étaient fortement refroidies et il est prévu que Jack Ma se retire d’Ant Group suite à une réorganisation commencé en 2020 au moment des mesures répressives. Mais depuis janvier l’avenir du secteur technologique en Chine reprend des couleurs et se traduit déjà par une hausse importante des actions chinoises à Wall Street.

Trois raisons principales peuvent expliquer ces revirements soudains concernant des mesures pourtant conformes à la charte idéologique prônée par Xi Jinping. Une première raison vient des voyages effectués fin 2022 par le dirigeant chinois à l’étranger, une première depuis l’apparition de l’épidémie de la Covid-19 en 2020.

Xi Jinping s’est rendu au Kazakhstan en septembre, puis en Ouzbékistan pour le 22ème sommet annuel de l’organisation de la coopération de Shanghai. En novembre, il s’est rendu au sommet du G20 en Indonésie, marqué par la fermeté de son discours vis-à-vis du premier ministre canadien Justin Trudeau.

Il était ensuite présent en Thaïlande dans le cadre de la coopération Asie-Pacifique puis en décembre à Ryad en Arabie-Saoudite pour demander que les livraisons de pétrole soient libellées en yuans plutôt qu’en dollars américains, signe important montrant que la Chine souhaite dédollariser le système financier mondial.

Plusieurs observateurs, en Chine y compris, pensent que ces voyages ont permis à Xi Jinping de prendre conscience que le monde s’apprêtait à clore le chapitre Covid-19 alors que dans le même temps éclataient les manifestations les plus violentes contre la politique zéro Covid qu’aient connues la Chine. S’il s’avère que le président chinois a profité de cet épisode pour donner des consignes pour réduire les mesures en vigueur, cela montrerait l’énorme pouvoir de Xi Jinping, bien que conforme à la tradition du pouvoir des premiers secrétaires du parti communiste chinois.

Une deuxième raison a été avancée par Anne Stevenson-Yang, experte de la Chine qui fournit aussi des données sur l’économie du pays avec son cabinet de recherche J Capital Research. Selon sa théorie, Xi Jinping aurait été mis à l’écart par une élite politique et économique qui est rapidement revenue sur les décisions politiques les plus marquantes de ces dernières années. Anne Stevenson-Yang indique dans un interview au site The Market que pour la première fois depuis 1949, des critiques ont été entendues sur le gouvernement et le parti communiste, que des manifestations ont éclaté demandant la démission de Xi Jinping et que cette situation est très dangereuse pour le parti communiste.

Dans le même temps, des émissaires australiens et américains ont été réinvités pour des discussions en Chine et des termes clés tels que prospérité commune, caractéristiques de la pensée de Xi Jinping ont disparu du vocabulaire d’un sommet du parti en décembre. Ces éléments laisseraient penser selon Anne Stevenson-Yang que quelque chose d’important s’est produit en interne pour renverser le pouvoir de Xi Jinping.

Si cette théorie semble plausible, elle reflète peut-être aussi une certaine naïveté occidentale. Les experts et politiciens occidentaux ont cru pendant des années à l’existence d’une aile libérale au sein du parti communiste chinois qui pourrait un jour arriver au pouvoir et ouvrir le pays au reste du monde. Les évènements récents montrent que la Chine emprunte plutôt une voie conservatrice avec Xi Jinping et ses lieutenants solidement attachés au pouvoir.

La troisième raison qui expliquerait ces revirements soudains s’attache à montrer que les décisions du gouvernement chinois ont été prises de manière très calculée et non sous le coup de l’émotion et des manifestations. Fin 2022, les rumeurs concernant l‘assouplissement des mesures zéro Covid couraient déjà depuis plusieurs mois et il reste possible que les manifestations aient accélérées les décisions. Mais les changements observés prennent beaucoup plus de sens si on observe la situation économique du pays.

Un investisseur chinois, le 26 août dernier (REUTERS/Jason Lee)

La Chine présente depuis plusieurs mois des indicateurs économiques inférieurs aux attentes et les chiffres de la démographie confirment que la population chinoise vieillit et va bientôt diminuer. Le gouvernement chinois a maintenu aussi longtemps que possible une politique zéro Covid pour éviter des millions de morts et tester ses capacités à contrôler la population. Mais en maintenant cette politique, le parti communiste a constaté que la production industrielle s’est effondrée et que de grandes multinationales ont fui le pays pour s’installer dans les pays voisins comme le Vietnam et il s’est résolu à l’abandonner progressivement.

La relance de l’économie chinoise passera certainement par le secteur le plus innovant et le plus polyvalent, celui des technologies. Les entreprises motrices de ce secteur comme Ant Group pourraient jouer un rôle important dans les différents projets développés par Pékin, comme le yuan numérique ou ceux visant à détrôner le dollar comme monnaie de réserve mondiale.

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